mercredi 9 juin 2010

Humaine comédie par Sandrine Jousseaume à la galerie 19

Sandrine Jousseaume est professeure de photographie à l'école des Beaux Arts d'Angers. Elle expose sa série "Comédie humaine Acte 2" à la galerie 19, située au 19 de la rue Chateaugontier à Angers.
http://www.sandrinejousseaume.com/travaux.html

samedi 29 mai 2010

Qu'avait donc derrière la tête notre ministre de la culture en venant à street art à angers?



Un ministre de la culture à Angers, ce n'est pas courant. Pour une manifestation de street art, ce n'est pas banal. Et pourtant, il était presque 17 heures quand tout à coup une certaine agitation s'est faite sentir près de l'abbaye du Ronceray, qui abrite l'exposition consacrée à Jean Faucheur dans le cadre du festival Artaq. M. Frederic Mitterrand a gratifié la ville d'Angers de sa venue et a visité l'exposition avant de s'entretenir quelques instants avec les artistes présents, montrant ainsi un soutien à l'art contemporain et offrant du même coup une publicité bienvenue à cette manifestation soutenue par la municipalité angevine.
Ce festival, que l'on doit en grande partie à Yves Suty, qui nous avait présenté il y a quelques temps une exposition autour de l'image du Che, mêle expositions et performances ainsi qu'un concours international. A écouter le maire d'Angers, J. C. Antonini le street art suscite l'engouement de tous les publics par sa convivialité, sa fraîcheur, son éclectisme, sa richesse et sa générosité. A voir l'affluence hier vendredi, il y a du chemin à faire. L'art urbain jouit en effet d'a priori. Pourtant quand vous côtoyez les artistes invités à Angers, vous pouvez vous rendre compte que l'on est loin des clichés habituels. Point de tags sauvages, absence d'une certaine violence et les œuvres présentées valent bien le détour via le grand théâtre, l'abbaye du Ronceray. Pour preuves quelques images prises dans la cour de l'Ensam, place de la laiterie, où pendant quatre jours les artistes créent des oeuvres éphémères sur des panneaux.
On y retrouve Mimi the clown (Miguel Donvez) clown, artiste de rue, pochoiriste qui s'exprime avec un certain sens de la provocation.
Mimi the clown montrant les stigmates d'après Giotto, et Mimi the clown en madone. Le voyage effectué dernièrement en Italie a laissé des traces.
Pour en savoir plus sur cet artiste:
http://www.migueldonvez.com/


Certains artistes sont venus d'Italie pour ce festival.



Titi from Paris (Franck Etave)
David Gouny montrant Blanche Neige contaminée par le virus du gras. Ce même virus contaminera une partie de l'abbaye.


Les influences de Jean Michel Basquiat se font sentir chez l'angevin Richard Gachignard.


Popay s'attelle à écrire son nom. La transformation est étonnante.


Rezine, lauréat d'un award.
Le cyklop, lauréat d'un prix spécial du jury.
Puis les étudiants des arts et métiers reprennent petit à petit possession de leur territoire avec leurs préoccupations. Le street art a du chemin à faire, l'art aussi. La pétanque a de beaux jours devant elle.

mardi 12 janvier 2010

La rue Condorcet orpheline de son facteur siffleur


Depuis quelques semaines, il nous manque quelque chose rue Condorcet. En effet, depuis quelques années, vers les 9 heures, quelques notes sifflotées nous annonçaient l'arrivée imminente du courrier dans notre boîte à lettres. En congé longue maladie, Bernard Pagis, le facteur siffleur a accepté de nous livrer quelques moments de sa vie professionnelle.

Vos débuts à la poste date de quand?
Je suis entré à La Poste le 26 juin 1972, après une formation BEP administratif, à Segré. J'ai failli intégré la BNP mais cela ne s'est pas fait. Mais je ne regrette pas mon job à la Poste même si j'aurais moins peiné physiquement car le côté relations humaines m'a pleinement satisfait. J'ai passé le concours de la Poste, en janvier 1972, qui avait lieu à la Catho, dans la grande salle. C'est marrant que ma dernière tournée soit celle qui longe cette salle.

Il y avait beaucoup de candidats?
50 000 environ au niveau national. Ils en prenaient 10 000. Les premiers étaient aussitôt embauchés.

Quel était votre classement?
391 ème, c'était pas mal , aussi je suis parti dès le mois de juin. On était sélectionné sur diverses matières comme la géographie, une dictée. Je revois mon père qui vient m'annoncer le résultat. Il était fier de moi, je crois, content certainement.

Quelle était la profession de vos parents?
Mon père était instituteur. Ma mère a élevé ses six enfants dont j'étais l'avant-dernier.

Et après le concours?
Je suis parti, à l'aventure. On m'a emmené à la gare, puis le train jusqu'à Versailles. C'était un peu le débarquement. Il y avait un rassemblement avec discours et déjeuner. On était nombreux. Puis hop dans le bus, tournée dans la région parisienne. On nous larguait dans les différents bureaux de la région parisienne, certains avec leur vélo. Je devais être affecté au bureau de Houilles, dans les Yvelines puis finalement on a décidé que ce serait Maisons Laffite, je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. Ce qui, finalement, était pas plus mal pour moi car c'était un peu moins gros et puis il y avait un parc, un champ de courses. C'était moins la grosse ville, pour moi, le petit provincial qui vivait à Saint Augustin des Bois.
C'était hallucinant. Je suis entré dans le bureau de poste, n'y connaissant rien. Je n'avais jamais vu l'intérieur d'un bureau de poste et je me suis retrouvé là, ne sachant trop quoi faire devant tous ces casiers en fer. Heureusement on était pris en charge par les plus anciens, il y avait une solidarité.
Je ne savais même pas où j'allais dormir. C'est un ancien, Pépé, qu'il s'appelait, qui à 16 heures, m'a demandé où je dormais. Il a demandé à un de ses collègues si il ne pouvait pas m'héberger pour la nuit. Un dénommé Caillaud.

Il n'y avait aucune prise en charge de la part de la Poste?
Aucune, c'était l'aventure, la grande découverte. Le collègue habitait dans le parc. Je l'ai accompagné, j'ai mangé avec lui et sa famille. Puis le lendemain, on m'a montré la tournée. Je suis parti avec un chef qui avait une tournée adaptée parce qu'il devait être présent au bureau. Pendant plusieurs jours, puis je l'ai remplacé. Au début, j'étais un peu dans la panade car avant d'acquérir la dextérité, le sens du classement, il faut du temps.

Vous n'avez reçu aucune formation?
Rien. On apprenait sur le tas. Il y avait un gars de Bordeaux, un Marseillais.
On démarrait à 6 heures et demie. Il y avait une superbe ambiance car venant tous de province, on s'entraidait. Il y avait le petit Stanislas, on l'appelait ainsi parce qu'il venait de Nancy, ( en référence à Stanislas Lesczczynski, ex roi de Pologne qui termina sa vie en Lorraine), un Guadeloupéen...
Ensuite, j'ai loué une chambre de bonne chez une ancienne dame de compagnie qui avait vécu en Amérique. Il y avait juste de quoi mettre le lit, un broc d'eau pour la toilette. Cela me coûtait environ 15o francs alors que mon salaire était de 800 à l'époque.


Combien de temps êtes-vous resté à Maison-Laffite?
5 ans. Comme j'avais eu le permis de conduire, j'ai fait pendant presqu'un an au service des télégraphes. Ce qui m'a handicapé pour la titularisation, qui avait lieu au bout d'un an de stage, car je ne connaissais pas très bien le tri, ne faisant pas le travail habituel d'un facteur. Voila comment j'étais récompensé d'avoir eu la gentillesse de les dépanner. Heureusement cela s'est bien terminé car ils ont accepté d'aménager pour moi l'épreuve du tri.

Vous montiez souvent à Paris?
Pas beaucoup. Je rentrais quelque fois en Anjou et puis on n'avait pas beaucoup d'argent. J'ai connu ma femme là-bas. Je l'ai rencontrée en allant chercher mon pain car elle travaillait dans une boulangerie.
Ensuite, j'ai émis le vœu de revenir en Anjou. J'ai été muté à Angers même, au Ralliement d'abord, puis dans des pré-fabriqués près du bureau de Bamako où je suis encore.

Qu'est-ce qui a changé dans votre métier?
Finalement pas grand chose car les procédures restent les mêmes. Sauf que maintenant le courrier arrive, trié par tournée de facteur. Le facteur doit trier son courrier en fonction de sa distribution. Avant, il fallait connaître tous les noms de rue de tout le secteur pour pouvoir trier correctement car le courrier devait être réparti selon les tournées des différents facteurs. Ce qui change c'est la longueur des tournées qui sont de plus en plus longues.

Vous étiez affecté à quelle tournée?
Deux fois par an, on peut "acheter une tournée" qui se libère. Enfin, on dit acheter mais il faudrait dire acquérir car il n'y a pas d'argent en jeu, c'est en fonction de l'ancienneté. J'ai donc "acheté" la 106, qui démarrait rue Fulton, rue Albéric Dubois pour finir vers la rue Eblé. Je l'ai faite pendant 24 ans. Je connaissais chaque grain de sable ou presque.

Vous siffliez déjà?
Toujours, dès le début. Certains anciens me regrettent pour ça, parce que le remplaçant ne siffle pas. J'aime bien la vie, je suis d'un naturel joyeux et puis les gens n'ont pas à subir vos sautes d'humeur. On participe à la vie des gens. On en voit se marier, d'autres qui s'en vont, quelques uns qui meurent. Il m'est même arrivé de surveiller une ou maison à la demande des propriétaires qui s'absentaient régulièrement. Je devais m'assurer qu'il n'y avait rien d'anormal.
On fait partie du quotidien de certains comme le soleil qui se lève.

Est-ce que vous avez remarqué un changement d'attitude chez les gens au fil des ans?
Non, cela dépend surtout du caractère des gens. Il y a toujours des gens sympas et d'autres qui vous ignorent. Je me souviens d'une maison, il y a 25 ans, où il fallait que je prenne mon café tous les matins. C'étaient des petits vieux qui m'attendaient avec la petite casserole sur le feu.
Il vous arrive forcément des petites histoires.

Vous connaissez pas mal de choses sur nous finalement
On prête serment de ne pas divulguer les informations qu'on recueille forcément rien qu'en voyant le nom de l'expéditeur.

Vous avez toujours été à vélo?
Oui, on devait se procurer nous-mêmes notre vélo. Mon premier ne convenait pas du tout. J'avais pris celui d'un frangin avec le guidon de course et les petits boyaux, c'était pas du tout adapté mais comme je n'y connaissais rien. La Poste nous donnait une petite indemnité pour l'achat du vélo. On achetait celui d'un collègue qui partait. Après, l'entreprise nous a fourni les vélos jaunes que vous connaissez avec dérailleur.

Est-ce un métier solitaire?
Non, pas vraiment car il y a la période de tri en début de journée qui dure environ 2à 3 heures. Là, on est avec ses collègues. Puis pendant la tournée, on rencontre le public.

Une bonne tournée pour vous c'est ... celle qui ne comporte pas de côtes?
Si il n'y a que du plat, oui car il y a des tournées où les côtes sont sévères et avec le poids c'est plus difficile. Mais pour moi, ce n'est pas le plus important. Moi, je privilégie le contact humain alors les grands immeubles impersonnels avec des rangées de boîtes aux lettres difficiles à déchiffrer, ce n'est pas ce que je préfère. J'aime les rues avec des maisons où le contact humain existe. Ma dernière tournée, la vôtre, résulte d'une énième restructuration. Comme celle que j'avais auparavant se retrouvait encore surchargée j'ai préféré changer. Il y en a qui s'en sortent mieux que d'autres ce qui explique que vous pouvez voir certains vélos de La Poste près d'un bistrot alors que d'autres facteurs n'ont guère le loisir de traîner en cours parce que leur tournée est longue. Mais la rue Condorcet faisait partie de mon ancienne tournée. Cela fait près de dix ans que j'y passe. Trois sacoches, cela fait trois heures environ. Enfin jusqu'à cette dernière restructuration qui m'a fait un peu disjoncté car elle était encore allongée. Les découpages ne sont pas toujours justes, l'équité est absente souvent.
Puis, il y a eu mes ennuis de santé. Il me fallait plus de deux heures de sieste pour récupérer. 4 heures et demie tous les matins, 6 jours sur 7, c'est usant. On a des soucis d'épaules, des tendinites, des problèmes de dos comme moi.

Le facteur est-il une figure du paysage urbain?
Oui, on fait couleur locale. Les anciens nous apprécient surtout, car on fait un peu du social à notre niveau. Mais avec la nouvelle génération, je ne sais pas si cela sera pareil car les mentalités changent. C'est boulot boulot. Et puis il y a des quartiers moins drôles car il peut y avoir des incivilités voire des petites agressions.

Comment voyez-vous votre rôle de messager?
On apporte des bonnes et des mauvaises nouvelles. Heureusement il y a encore des lettres d'amour, qui sentent bon. C'est certain que les cartes de vœux, par exemple, vont en diminuant. Avec les nouvelles technologies, je ne sais pas comment cela évoluera, mais depuis deux, trois ans, on distribue beaucoup moins de cartes de vœux. Il reste les Anglais qui semblent fidèles aux vœux manuscrits. Avant, on appréhendait cette période tellement elle était surchargée. On avait quatre, cinq jours à récupérer après. Mais on a plus de plaisir à distribuer des lettres manuscrites que de la pub. Quelquefois on est aussi heureux que celui qui reçoit la lettre tant désirée. Je me souviens de cette dame qui attendait une lettre de sa fille qui était en Chine. Vous auriez vu son sourire quand je lui ai donnée le courrier attendu. Un tel sourire vous donne envie de continuer.

Et maintenant ?
Je me lève plus tard, vers 7 ou 8 heures. On s'habitue vite. Le travail ne me manque pas. Je regrette juste le côté sympa des contacts humains.

mardi 15 décembre 2009

Portrait d'un photographe angevin, Jean-François Rabillon

Entretien réalisé mardi 15 décembre 2009 à La Bohalle dans le Maine et Loire

Avertissement: Pour mieux saisir la personnalité de Jean-François Rabillon, dit Jef, je me dois de prévenir le lecteur que j'ai intentionnellement ôté de cette retranscription tout commentaire éclairant l'état d'esprit dans lequel se trouvait mon interlocuteur. Ainsi vous ne trouverez pas de (rires) ou (crispation) par exemple pour la simple et bonne raison qu'il faudrait ajouter toutes les deux phrases (éclat de rire).










Comment te définis-tu?
Je suis plus un témoin, un observateur privilégié qu'un artiste.
Pour moi, la photographie, c'est ma vie, je baigne dedans du matin au soir. Je ne me sens pas bien si, au bout de plusieurs jours, je n'ai pas pris une photo , c'est un élément nécessaire à ma vie.

Ce n'est donc pas suffisant de regarder avec tes yeux
C'est différent parce qu'avec un appareil tu focalises sur un élément du paysage, du décor qui va t'attirer, te toucher, souvent en corrélation avec la lumière d'ailleurs. J'aime le détail, la lumière. Puis j'ai envie de partager avec d'autres cette vision et comme le seul moyen dont je dispose c'est mon appareil...

Ce n'est pas différent de la démarche de l'artiste
C'est la dénomination qui me gêne et puis je ne suis pas dans la construction de l'image.
A la différence du peintre qui part d'une toile vierge moi j'ai besoin d'éléments qui sont déjà là. Je vais à la pêche en quelque sorte. Je suis de moins en moins sensible aux images construites en studio. J'aime beaucoup la rencontre avec les gens. Sinon, on pourrait me qualifier de fouineur. Je prends peu de clichés. En voyage, je me balade en rêvant et ce sont des détails qui retiennent mon attention, un verre brisé, une poubelle plutôt que des monuments.







Je vais trouver naturellement extraordinaire ce que la plupart trouve ordinaire. J'ai la même démarche lorsque je photographie un opéra. Ainsi, je travaille depuis deux ans pour Angers Nantes Opéra et je découvre tout, c'est un monde entièrement nouveau pour moi et je suis émerveillé comme un gamin. C'est peut être grâce à regard de gosse que je fais ce type de clichés. Il ne faut pas que je m'installe dans une sorte de confort.

Est-ce qu'on est voyeur quand on est photographe?
Je suis très mal à l'aise avec ça. J'ai toujours été timide à tel point que le fait d'entrer dans un café me coûte. J'ai mis du temps à pouvoir prendre en photo des gens dans la rue.


Petit déjà, tu avais cette attirance pour la photographie?
Mon père adorait le cinéma et il avait une caméra 8 mm mais il avait une maladie (rétinite pigmentaire) qui l'a fait devenir aveugle très rapidement. Est-ce que, inconsciemment, cela m'a dirigé vers ce métier, je n'en sais rien mais je prenais souvent sa caméra vers 7, 8 ans. J'ai fait preuve d'initiative et je suis devenu adulte très tôt. Il y avait le côté technique qui me plaisait. J'ai eu mon premier appareil vers 1965, c'est un oncle, alors élève ingénieur qui me l'avait ramené des États unis. C'était un tout petit appareil avec des rouleaux comme du 6x 6 et ce qui m'intriguait c'était la transformation du petit rouleau en papier qui allait devenir un négatif, puis une image, cela m'apparaissait magique . A Noël 1970, à 12 ans donc, mes parents m'ont offert un petit compact, un 24x36, un Zeiss Ikon.
Mais comme cela coûtait cher de faire développer ses photos, j'avais installé un labo chez mes parents dans un placard. J'ai tout installé seul, de l'électricité à la peinture, en passant par la pose de l'agrandisseur, etc. J'ai un peu joué à l'apprenti sorcier parce que, comme je n'y connaissais rien en bricolage, je ne faisais pas les bons branchements, résultat, il y a eu quelques menus incidents. Mais quel bonheur après de voir apparaître l'image.

Quel genre de photos faisais-tu à l'époque?
Des paysages, des photos de famille, j'en ai retrouvé une prise de la fenêtre de chez mes parents. On voit le facteur faire sa tournée.
Je ne supportais pas le collège, je dirais même que je le subissais et alors j'allais me réfugier dans mon placard, baignant dans sa lumière rouge.

A l'origine, la photo était donc un refuge alors que maintenant tu dis qu'elle te permet de t'ouvrir aux autres
Je ne prenais pas du tout les gens en photo, je n'avais pas la maturité que peuvent avoir les jeunes aujourd'hui.

Tu étais à ce point timide?
Oui, énormément, cela a été un handicap énorme. Je rends l'école un peu responsable de cet état. Mais aujourd'hui cette timidité me sert car les gens sentent que je ne vais pas les agresser, que je ne suis pas un voleur d'images. La timidité s'ajoute au respect que j'ai pour mes interlocuteurs.
Je n'aimais pas l'école, l'autorité qui régnait dans l'enseignement catholique de l'époque.
L'appareil photo m'a permis de trouver une place dans les groupes car tu te caches derrière lui et ensuite tu amènes un tirage, du coup, les gens te regardent autrement. J'aurais préféré jouer de la guitare. Je ne suis toujours pas très à l'aise dans les groupes.
Je n'ai pas choisi d'être photographe ce sont les rencontres qui m'ont construit, ça mêlé à ma curiosité.

Tu ne pourrais pas être reporter alors?
Non, je me mets à la place des gens qui sont photographiés. Ainsi je n'ai pas envie d'aller en Afrique ou dans les pays du Tiers-monde car je ne me sentirais pas à ma place avec mon appareil en bandoulière. Ou alors il faut y être pour une bonne raison pas en tant que touriste.
J'ai fait des portraits de Kosovars réfugiés à Angers, qui vivaient dans la caserne Desjardins, mais c'était différent car il y avait des intermédiaires et du temps et on me l'avait demandé.
La difficulté d'être photographe maintenant tient en partie au fait que tout le monde est photographe et que la plupart du temps tout le monde fait n'importe quoi avec son appareil photo. J'ai honte quelquefois d'arriver avec ma sacoche. Quand je me présente devant les gens que je dois photographier, je dois leur prouver que je ne suis pas dans cette pratique qui consiste à tout photographier, souvent sans respect pour l'autre. Parce qu'ils ne me connaissent pas et ne connaissent pas ni mon travail ni ma façon de travailler. Je suis en plein questionnement en ce moment. Il y a la nécessité vitale de faire de la photo, la nécessité économique également car c'est mon métier et en même temps je vois cette profusion d'images. Je suis un peu paumé.
Comment parviens-tu à retranscrire ces échanges par un instantané car la prise de vue est très brève?
La rencontre proprement dite prend 80% du temps, car d'abord il faut convaincre la personne, dont je veux faire le portrait, qu'elle est "photogénique", du moins jusqu'à ce que je sorte mon appareil. Du coup j'en arrive à des discussions intéressantes et finalement je me nourris de ces échanges.
Ce n'est pas facile effectivement car soit je vois des attitudes qui me conviennent en tant que photographe mais je ne suis pas disponible à ce moment-là car je suis dans l'échange verbal, soit ils se bloquent devant l'objectif.


Quel est ton statut?
C'est un peu comme la maison des artistes, cela concerne les auteurs. Je facture en droits d'auteur. Il y a plein de travaux que j'effectue qui ne sont pas facturés parce que ce sont des petites compagnies qui n'ont pas d'argent. On utilise aussi certains de mes clichés sans me demander l'autorisation ou en me créditant sans me rémunérer. Les personnes ne connaissent pas notre situation et ne se rendent pas compte que notre travail mérite salaire.

Est-ce que tu as envisagé un moment d'être photographe de presse?
Non, jamais. Cela ne m'intéresse pas.
Je fais parfois des reproductions de tableaux. Il n'y a pas beaucoup de photographes qui peuvent vivre sans travaux alimentaires.

Des influences?
Le premier photographe qui m'a vraiment influencé, c'est Jeanloup Sieff. C'était mon maître. Gamin, j'ai été impressionné par la série "Vallée de la mort", ces photos très contrastées. Il y en a une où l'on voit des montagnes au fond, un buisson, au premier plan et entre les deux, la terre craquelée. Quand on est enfant on aime les grands angles, les contrastes. On m'avait offert vers 17 ans "la photo" bouquin coréalisé avec un autre photographe Chenz. Je m'alimentais côté technique auprès de Chenz, et je prenais le côté poétique de Sieff.

Quelle est ta formation?
Je suis autodidacte, j'aime bien découvrir par moi-même, faire ma propre expérience. Je me mets dans les traces de celui qui a fait les premières découvertes. J'ai beaucoup appris dans les bouquins ou en allant voir des expositions. J'ai passé un bac scientifique, puis j'ai un peu galéré, je suis allé jusqu'au Cap Nord à vélo, réalisant un diaporama sur ce voyage. J'ai toujours fait des photos mais je ne les montrais pas. J'ai été vendeur au rayon photo dans une grande surface pendant un an. Puis la rencontre de Philippe Leduc de Lucie Lom m'a redonné confiance, car je suis quelqu'un qui doute énormément. Je dois tout aux Lucie Lom, ils m'ont fait confiance, surtout Philippe qui m'a encouragé, m'a "boosté".


J'avais 28 ans et il m'a fait travailler pour le projet d'affiches polonaises, j'ai réalisé un diaporama pour exposer le projet aux élus angevins.
J'aimais bien travailler sur ce projet car le diaporama m'intéressait à l'époque, enchaîner les prises de vue, trouver de nouveaux moyens. En fait, j'étais attiré par le cinéma et c'est le manque de moyens qui m'a dirigé vers la photographie. A 18 ans, c'était impossible d'avoir une caméra 16 mm, la pellicule était hors de prix.

Tu voulais être cinéaste?
Oui, cela m'aurait plu. Avec un copain, on avait envie de s'acheter une 16 mm et de partir. Le diaporama m'a permis de lier l'image, le son. J'aime la musique aussi. Au retour du voyage dans le Nord, j'ai acheté un magnéto révox, des enceintes, un système de fondu enchaîné, des projecteurs. On l'a présenté au festival de Royan, devant Gérard d'Aboville. Mais ce n'était pas genre "connaissances du monde, c'était une forme de road movie poétique. J'aimais le chevauchement des images qui faisait apparaître une troisième image.

Je me suis petit à petit rapproché de l'humain. Il y a eu avec les Lucie Lom ce travail autour des compagnons d'Emmaüs. Ce fut un moment intense avec comme point d'orgue le repas pris en commun avec les compagnons et l'abbé Pierre. Il m'a fallu beaucoup de temps, environ 5 ou 6 mois car la plupart étaient réticents voire hostiles, puis à force de me voir, avec mes deux enfants qui m'accompagnaient, ils ont changé d'attitude allant pour certains à me solliciter.
Je voulais une proximité et j'ai donc utilisé le grand angle mais pour cela il faut avoir une qualité, la rapidité quitte à être moins exigeant côté technique.

Comment procèdes-tu?
Je ne sais pas si c'est correct mais j'ai envie de dire que je vais vers la photo. Je vais chercher un endroit et puis j'attends, je ne suis pas sans cesse en train de bouger. En concert, je vais me mettre dans un coin et y rester, je suis sur le qui vive sans arrêt, je ne veux pas me mettre en scène , mais me faire oublier, il ne se passera peut être rien d'ailleurs...

Cela me fait penser à Doisneau, Ronis, Izis
Je n'ai pas été tout de suite sensible à leurs photographies mais en vieillissant je me sens de plus en plus proche d'eux.
Je ne cherche pas à faire de la photo à tout prix. En particulier, dans le spectacle de rue où je ne dois pas parasiter le spectacle, j’essaie de me fondre dans le public. Dans une salle de spectacle, c’est un peu différent. J’aime prendre mon temps, être présent très longtemps à l’avance, voir les échauffements, m’immerger dans le climat ambiant, j’ai envie de garder une certaine naïveté.

Tu utilises principalement le noir et blanc?
Pas spécialement. J'ai commencé par le noir et blanc parce que je développais moi-même pour raison d'économie, puis avec le diaporama je n'utilisais que la couleur. Ensuite, pour les spectacles, je préférais le noir et blanc car tu pouvais pousser les sensibilités. Avant, j'aimais beaucoup travailler les paysages alors la couleur s'imposait d'elle-même surtout à cause de la lumière, comme le travail réalisé autour de la Loire mais cela dépend du sujet. Je reviens des Pyrénées où le paysage était tellement aride, avec des arbres tordus, un peu de brume que le noir et blanc pouvait le disputer à la couleur. C'est une histoire de lumière, certaines lumières me fascinent, elles rendent le paysage irréel, à tel point que certains spectateurs pensent que j'utilise des filtres, or je n'en utilise jamais.

Le numérique a changé ta manière de photographier?
Non, pas du tout, cela m'enlève le petit stress que j'ai eu très longtemps quand j'attendais le retour du labo. Je voulais voir s'il y avait quelque chose sur la pellicule. Ce stress était dû à mes premières expériences quand j'ai commencé à faire mes premiers développements en 1970. Auparavant je déposais mes pellicules à développer chez Guiraud à Angers, puis je me suis lancé dans le développement, à 12, 13 ans avec juste un bouquin pour me guider car je ne connaissais rien à la photo. Je m'autofinançais en vendant des clichés sous forme de cartes postales que mon père acceptait d'accrocher dans sa librairie papeterie. Je me revois dans mon placard, avec ma lampe rouge, ma pellicule dans la boîte, puis arrive le moment où je sors le film, rien, c'était tout noir, or j'avais fait des photos de ma petite sœur qui venait de naître. Je me rappelle que tout le monde m'était tombé dessus parce j'avais tout raté. Je fais un deuxième essai, pareil, tout noir, alors je raconte mes malheurs chez Guiraud, qui se marre parce que le développement doit se faire dans le noir total, ce que je ne savais pas à l'époque.


Après je me suis mis dans le noir pour faire mes développements. On peut faire faire le rapprochement avec la cécité de mon père bien sûr car là, tu ne travailles qu'au toucher, et on se rend compte alors de l'importance de ce sens qu'on oublie, surtout quand tu fais de la photo. D'ailleurs, on peut remarquer que si la photographie est un art visuel, il y avait une étape dans la fabrication de l'image où le sens, la vue, était complètement absent. Il ne faut pas oublier non plus la camera obscura, la chambre noire. Ce serait du pain béni pour mon analyste si je m'allongeais sur son divan quand on connaît mon histoire familiale.

Qu'est-ce qu'une photo réussie?
Doisneau disait que s'il avait fait une centaine de photos de bien dans sa vie cela ne représentait au 1/125e qu'une seconde de vie. Après une prise de vue, je ne suis jamais satisfait. J’ai souvent l’impression d’avoir manqué la photo que j’aurais aimé faire. Heureusement, avec un peu de recul, on redécouvre les images et on se dit que finalement ce n’était pas si mal. Même si l’expérience compte, sincèrement,
j’ai l’impression de ne rien savoir. À chaque spectacle, je suis toujours aussi anxieux.
Je me souviens d'une photo prise dans la rue, un homme, SDF, m'avait interpellé car me voyant avec mon appareil photo il croyait que je voulais prendre un cliché de lui contre son gré. S'engage alors une discussion où il me raconte sa vie. Forain, il travaillait sur la grande roue puis après une mauvaise chute, il s'était retrouvé sans rien car il n'était pas assuré. Puis la rue. Alors qu'au début, il criait sans cesse "j'veux pas de photos", à la fin de notre discussion, il m'a demandé de lui faire un portrait, il voulait poser ce que je ne voulais pas. J'ai pris deux ou trois clichés et c'est une fois arrivé à la maison que j'ai vu l'affiche contre laquelle il était appuyé.

Le site de Jean-François Rabillon:
http://www.rabillon.com/index.htm