
Un hommage au Che ?, certainement pas. Une entreprise de dénigrement ?, pas plus. De faire un coup médiatique en dénonçant la merchandisation des idéaux? Peut être. De se moquer gentiment du mythe ? Si l'on veut car on assiste en effet, à travers les oeuvres exposées, à des variations plus ou moins respectueuses, empreintes de distance et d'ironie. Que les artistes se réapproprient ce qui est devenu un objet de consommation?, sans doute. De faire découvrir le Che aux plus jeunes et de montrer aux autres des facettes du révolutionnaire?, depuis quand les galeristes ont vocation pédagogique maintenant? D'exposer des créateurs peu habitués aux expositions car venant de la publicité ou du design, cela ne fait aucun doute."Il faut savoir que je viens de la publicité et du design, activités où l'on fabrique des mythes commerciaux. En cela le mythe du Che symbolise parfaitement les dérives de notre système qui mouline tout ce qu'il touche en prêt-à-croire. Le Che s'est réincarné en marque", indique Yves Suty.
Mais pour pouvoir pleinement apprécié les oeuvres exposées au Grand Théâtre d'Angers il est peut être nécessaire de faire un petit détour par l'Histoire, de retracer brièvement l'histoire de l'homme et de l'image.
Le révolutionnaire

Passionné par les voyages, il part, fin 1951, à moto, avec son ami, Alberto Granado, découvrir les Andes et les cités précolombiennes. Arrivés à la léproserie de Huambo, au Pérou, ils se proposent comme bénévoles. Son voyage l'emmènera jusqu'à Miami où il reste plus d'un mois presque sans argent. Son aversion pour les USA est immense. Revenu à Buenos Aires, il termine son doctorat de médecine puis se dirige vers le Guatemala rejoindre une révolution condamnée par les USA. Réfugié à l'ambassade d'Argentine après la chute du gouvernement révolutionnaire, le Che, comme on l'appelle désormais, prend le chemin de l'exil au Mexique. Il y rencontrera des révolutionnaires cubains dont Fidel Castro.
Le 25 novembr
Batista s'enfuit et le Che entre dans La Havane le 2 janvier. Le Comandante est devenu une véritable légende vivante.
S'ensuit une des pages les plus controversées de la vie d'Ernesto car liée à son activité au sein de la prison de la Cabana où entre 200 et 500 prisonniers trouvèrent la mort.
Devenu C
Son aventure révolutionnaire prend fin en Bolivie, où son opération se solde par un échec . Abandonné et frustré, il est capturé par des soldats boliviens, puis est exécuté le 9 octobre 1967, ensuite enterré sous une route. Ainsi se termine la vie du révolutionnaire. Mais les photographies de sa mort, et la mise en scène macabre voulue par les militaires boliviens vont faire le tour des rédactions. Certaines de ces images peuvent être comparées aux tableaux du Christ et vont aider ainsi à faire du héros un martyr.
Le Che éternel


Un destin paradoxal
Le Che a-t-il été instrumentalisé par la politique? Le débat reste ouvert, mais ce que l'on peut vérifier plus de 40 ans après sa mort, c'est la survivance du mythe ou du moins l'exploitation par le marché de l'icône révolutionnaire. Que penser du déferlement d'objets de consommation à l'effigie du Che? Celui qui a combattu toute sa vie le capitalisme devient au final la meilleure expression de l'esprit de consommation, de ce système économique et politique. Pouvait-il imaginer que des milliers de Tee-shirts arboreraient son visage, que le chiffre d'affaires généré par ce business qui exploite son image dépasserait les centaines de millions de dollars? On ne compte plus les entreprises dans le monde qui produisent des objets explicitement dédiés au Che dont la majorité

Les artistes et le Che
On pense évidemment à Andy Warhol. Il utilise l'image du Che comme celles de Maylin Monröe, Jacky Kennedy, Mao, Elvis Presley. Ni hommage, ni critique, ni détournement, juste une "sérialisation", pour donner un produit comme sait le faire la publicité. L'homme s'est effacé au profit de l'image, ses idéaux se sont évanouis pour laisser place à la figure du héros révolutionnaire revu par l'artiste new yorkais.
De très rares artistes, au contraire, comme l'Argentin Miguel Hunt, ont souhaité à travers leurs toiles rendre hommage à Ernesto Guevara.
L'exposition proposée par Yves Suty n'est pas politique, 40 ans sont passés depuis la mort du guerrillero. Nous sommes en France, les idées de révolution ont fait long feu et la contestation est incarnée par un autre poeple, le beau gosse, postier de son état, chantre du NPA de par sa fonction.Il s'agit, ici, chacun à sa manière de revisiter l'image d'Ernesto Guevara.
On pourra remarquer que ce sont surtout les signes de virilité militaire, de défi, de bravoure, de fierté qui ont intéressé les jeunes peintres. L'honnêteté, le désintéressement dont parle Séguela n'apparaissent pas. L'isolement et la défaite peuvent transparaître dans certains tableaux. Ce qui retient l'attention, c'est le personnage Che, ce qui est dû sans doute une pipolisation réactualisée du révolutionnaire.
Les univers de Terry et de Dav Guedin sont ceux de la bande dessinée et du cinéma d'action. Le Che est certes un héros mais au même titre que Chewbacka de Star Wars ou Bruce Lee.
C'est avec humour que Jo Brouillon lance son appel à la lutte armée en faisant allusion à Gainsbourg et sa Marseillaise (aux armes et caetera).
Ce que l'on peut remarquer c'est la présence de signes incontournables qui sont attachés au Che : le béret pour son rôle militaire, l'étoile pour la révolution, le cigare pour le fait qu'il soit devenu Cubain. Cuba est omniprésent, des phrases comme Cuba libre , Hasta la victoria sempre reviennent également faisant référence aux discours de Che. Mais ce sont les seules références à ses idéaux et qui sonnent plus comme des slogans publicitaires. D'ailleurs d'une manière générale, les artistes exposés ne sont pas tendres à l'égard de l'image du Comandante.
La référence à l'icône Che est explicite chez Doberman (icona popular) alors que Ian Stuyve nous fait un cours de sémiologie appliquée. Le visage stylisé du Che est une icône au même titre que la représentation du piéton, du téléphone, ou ici du verre brisé indiquant la fragilité. Avec une pointe d'humour l'artiste invente un contenant supposé fragile, qui reste à identifier.
Certaines des oeuvres exposées retracent la lutte entre le révolutionnaire et l'impérialisme américain et son pendant économique, le capitalisme.
En effet comment interpréter les soldats de plomb qui envahissent la surface de la toile, dessinant ainsi les traits de Guevara? Mais la sculpture de Michel Soubeyrand n'est pas la défaite du Che contre les Américains - ou pas seulement. "C'est aussi une représentation de la réalité : le Che a donné une image esthétique, séduisante, attirante de la tuerie. Son visage est fait des soldats qui servent sa révolution, ses desseins meurtriers. Cette oeuvre résume parfaitement l'exposition", précise Yves Suty.
Patrick Thomas est encore plus radical à mon avis. Avec American Investment, il nous signifie que la révolution a été vaincue et que les enseignes des entreprises américaines déferleront sur Cuba comme elles envahissent le visage du Che. La lutte semble inégale tant l'armée yankee semble nombreuse et conquérante. La victoire des marchands américains ne fait pas de doute.
Pour aller plus loin :
Dossier Ernesto Guevara dans la revue Histoire
Une interview du Che en français: http://www.youtube.com/watch?v=y5X0L_SPgoE
Carnets de voyage (Diarios de motocicleta) film brésilien, chilien, américain, péruvien et argentin réalisé en 2003 par Walter Salles
http://www.galeriesuty.com/
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