vendredi 23 octobre 2009

Qu'avait donc derrière la tête Yves Suty en préparant l'exposition "Che : du héros culte au culte de marque?"

Photographie de T. Bonnet



En imposant à près de soixante-dix artistes de travailler sur le thème de Che Guevara, ou plus exactement sur son image telle qu'elle a évolué au fil du temps, Yves Suty devait bien avoir une idée derrière la tête.
Un hommage au Che ?, certainement pas. Une entreprise de dénigrement ?, pas plus. De faire un coup médiatique en dénonçant la merchandisation des idéaux? Peut être. De se moquer gentiment du mythe ? Si l'on veut car on assiste en effet, à travers les oeuvres exposées, à des variations plus ou moins respectueuses, empreintes de distance et d'ironie. Que les artistes se réapproprient ce qui est devenu un objet de consommation?, sans doute. De faire découvrir le Che aux plus jeunes et de montrer aux autres des facettes du révolutionnaire?, depuis quand les galeristes ont vocation pédagogique maintenant? D'exposer des créateurs peu habitués aux expositions car venant de la publicité ou du design, cela ne fait aucun doute."Il faut savoir que je viens de la publicité et du design, activités où l'on fabrique des mythes commerciaux. En cela le mythe du Che symbolise parfaitement les dérives de notre système qui mouline tout ce qu'il touche en prêt-à-croire. Le Che s'est réincarné en marque", indique Yves Suty.
Mais pour pouvoir pleinement apprécié les oeuvres exposées au Grand Théâtre d'Angers il est peut être nécessaire de faire un petit détour par l'Histoire, de retracer brièvement l'histoire de l'homme et de l'image.


Le révolutionnaire
Né le 14 juin 1928, à Rosario de La Fé, en Argentine, de l'union de Celia de la Serna et d'un entrepreneur du bâtiment, Ernesto Guevara Lynch, le futur Comandante suit sa famille dans les nombreux déplacements occasionnés par la profession du père. La condition de la famille est loin d'être précaire, comme en témoigne la décision de s'établir dans une station de villégiature de la région de Cordoba afin de soigner l'asthme du petit Che. Après y avoir achevé ses études, Ernesto décide de se lancer dans des études de médecine à Buenos Aires, où désormais vit la famille, suite à des problèmes financiers. Il finance lui-même ses études en travaillant comme infirmier, vendeur de chaussures. Quand il délaisse ses livres et que son asthme lui laisse quelque répit il se promène dans les quartiers populaires pour parler aux vagabonds et aux souffrants.
Passionné par les voyages, il part, fin 1951, à moto, avec son ami, Alberto Granado, découvrir les Andes et les cités précolombiennes. Arrivés à la léproserie de Huambo, au Pérou, ils se proposent comme bénévoles. Son voyage l'emmènera jusqu'à Miami où il reste plus d'un mois presque sans argent. Son aversion pour les USA est immense. Revenu à Buenos Aires, il termine son doctorat de médecine puis se dirige vers le Guatemala rejoindre une révolution condamnée par les USA. Réfugié à l'ambassade d'Argentine après la chute du gouvernement révolutionnaire, le Che, comme on l'appelle désormais, prend le chemin de l'exil au Mexique. Il y rencontrera des révolutionnaires cubains dont Fidel Castro.

Le 25 novembre 1956, 82 révolutionnaires parmi lesquels le Commandant Fidel castro et l'officier médecin Ernesto Che Guevara, s'éloignent des rives du rio Tuxpan pour rejoindre les côtes cubaines. Après une traversée qui tourne au cauchemar, la révolution cubaine peut commencer. Les marches interminables succèdent aux violents combats avec les troupes régulières pour finalement atteindre la Sierra Maestra. Le Che est gravement blessé au cou. Mais l'armée révolutionnaire voit ses rangs grossir et c'est finalement dans la nuit du 31 décembre 1958 au 1er janvier 1959 que la ville de Santa Clara est prise.
Batista s'enfuit et le Che entre dans La Havane le 2 janvier. Le Comandante est devenu une véritable légende vivante.
S'ensuit une des pages les plus controversées de la vie d'Ernesto car liée à son activité au sein de la prison de la Cabana où entre 200 et 500 prisonniers trouvèrent la mort.

Devenu Cubain, il devient l'ambassadeur de la révolution et voyage à travers le monde. A 37 ans,lassé de la vie politique, il reprend le combat et rejoint les révolutionnaires zaïrois qui luttent contre Moise Tshombe. Sa mission s'achève par la destitution du président sans que son action y soit pour grand chose.






















Son aventure révolutionnaire prend fin en Bolivie, où son opération se solde par un échec . Abandonné et frustré, il est capturé par des soldats boliviens, puis est exécuté le 9 octobre 1967, ensuite enterré sous une route. Ainsi se termine la vie du révolutionnaire. Mais les photographies de sa mort, et la mise en scène macabre voulue par les militaires boliviens vont faire le tour des rédactions. Certaines de ces images peuvent être comparées aux tableaux du Christ et vont aider ainsi à faire du héros un martyr.



Le Che éternel

Qui n'a jamais vu l'une de ces photos? Que ce soit dans les livres, les journaux, sur des affiches, les murs ou encore sur des tee-shirts, difficile d'y échapper! Pour la majorité d'entre nous, elle est l' incarnation même du Che. La photographie a été prise le 5 mars 1960 à La havane par Alberto Diaz Gutierrez dit Korda lors de l'enterrement de 75 hommes tués la veille dans l'explosion du navire marchand français chargé d'armes, Le Coubre, explosion dûe probablement aux services secrets américains. Rage, douleur, yeux fiévreux, cheveux agités par le vent se mêlent dans ce cliché. Pourtant celui-ci restera 7 ans dans un tiroir . C'est l'Italien Feltrinelli qui l'en exhume avant que les étudiants révoltés ne s'en emparent pour en faire un symbole de contestation. En l'espace de quelques mois, cette photographie fait le tour du monde. Elle est devenue en peu de temps le symbole d'un mythe affiché sur les murs des chambres d'une génération entière. Pour le magazine Photo, Jacques Séguéla, publicitaire de renom, décrit le cliché : “La photographie de Korda concentre toutes les vertus qu’on attribue au Che : honnêteté, bravoure, désintéressement, défi, loyauté, fierté, sans oublier une dose de virilité militaire. Le visage de Che Guevara exprime autant la fermeté (face aux Etats-Unis) que la confiance (en l’avenir de la révolution), la négligence (barbe, cheveux longs au vent) que le sérieux de l’engagement (l’étoile de commandant sur son béret)”. L'artiste irlandais Jim Fitzpatrick la stylisera en n'utilisant que le noir et blanc et va la transformer en représentation d'une icône pop propulsant du même coup le Che au rang des rock stars.

Un destin paradoxal



Le Che a-t-il été instrumentalisé par la politique? Le débat reste ouvert, mais ce que l'on peut vérifier plus de 40 ans après sa mort, c'est la survivance du mythe ou du moins l'exploitation par le marché de l'icône révolutionnaire. Que penser du déferlement d'objets de consommation à l'effigie du Che? Celui qui a combattu toute sa vie le capitalisme devient au final la meilleure expression de l'esprit de consommation, de ce système économique et politique. Pouvait-il imaginer que des milliers de Tee-shirts arboreraient son visage, que le chiffre d'affaires généré par ce business qui exploite son image dépasserait les centaines de millions de dollars? On ne compte plus les entreprises dans le monde qui produisent des objets explicitement dédiés au Che dont la majorité sont américaines ou multinationales au capital nord-américain. Les membres de la jet set comme le footballeur Maradona, le boxeur Mike Tyson, le chanteur Manu Chao ou encore l'acteur Johnny Depp exhibent des tatouages dédiés au Comandante, provoquant un effet boomerang sur les masses toujours enclines à prendre ces stars comme exemple. Ceux qui achètent ces objets s'offrent-ils pour quelques Euros le mythe, pensent-ils devenir révolutionnaires, sauveurs du monde? Je ne le pense pas. Le phénomène a beau être étudié, il n'en garde pas moins son mystère. Pour Christopher Hitchens, "le statut d’icône du Che vient du fait qu’il a échoué. Son histoire est une histoire de défaite et d’isolement. C’est un révolutionnaire qui n’a plus ni griffes ni crocs ; il incarne une révolte qui ne blesse personne. Aurait-il vécu plus vieux, aurait-il été associé au pouvoir, le mythe du Che serait mort depuis longtemps” . D'autant qu'il est affublé d'une belle gueule, et si Ernesto Guevara avait eu le nez tordu, les yeux atteints de strabisme et le menton en galoche?

Les artistes et le Che

On pense évidemment à Andy Warhol. Il utilise l'image du Che comme celles de Maylin Monröe, Jacky Kennedy, Mao, Elvis Presley. Ni hommage, ni critique, ni détournement, juste une "sérialisation", pour donner un produit comme sait le faire la publicité. L'homme s'est effacé au profit de l'image, ses idéaux se sont évanouis pour laisser place à la figure du héros révolutionnaire revu par l'artiste new yorkais.
De très rares artistes, au contraire, comme l'Argentin Miguel Hunt, ont souhaité à travers leurs toiles rendre hommage à Ernesto Guevara.

L'exposition proposée par Yves Suty n'est pas politique, 40 ans sont passés depuis la mort du guerrillero. Nous sommes en France, les idées de révolution ont fait long feu et la contestation est incarnée par un autre poeple, le beau gosse, postier de son état, chantre du NPA de par sa fonction.Il s'agit, ici, chacun à sa manière de revisiter l'image d'Ernesto Guevara.
On pourra remarquer que ce sont surtout les signes de virilité militaire, de défi, de bravoure, de fierté qui ont intéressé les jeunes peintres. L'honnêteté, le désintéressement dont parle Séguela n'apparaissent pas. L'isolement et la défaite peuvent transparaître dans certains tableaux. Ce qui retient l'attention, c'est le personnage Che, ce qui est dû sans doute une pipolisation réactualisée du révolutionnaire.


Daï Daï propose trois moments de la vie du Che : le médecin, le guérilléro arrogant et l'homme sandwich qu'il est devenu. Pour pouvoir apprécier pleinement ses oeuvres il faut avoir à l'esprit les campagnes publicitaires pour les producteurs de lait américains "Got Milk" où les plus grandes stars américaines sont sollicitées pour vanter les mérites du lait. L'artiste joue avec le point de vue du spectateur. Il n'est plus question de se situer en contrebas d'Ernesto Guevara, dominé par lui en quelque sorte comme dans la photo de Korda mais au-dessus de lui comme si ce dernier redevenait un simple humain à son tour dominé par le Très Haut. Le clin d'oeil qu'il nous adresse semble indiquer qu'il n'est pas dupe de ce qui lui arrive ou va lui succéder.

Yves Ullens s'attache, quant à lui, au parcours de l'homme avec ses hauts et ses bas représentés par l'éléctro encéphalogramme. On retrouve dans le portrait les lieux importants où il vécut avec les sourcils, figurés par la carte de Cuba et la région de Buenos Aires le nez, étant une partie de la Bolivie. Les barbelés emprisonnent l'image, le révolutionnaire serait-il prisonnier de son image? L'arme et le sthéthoscope qui encadrent l'E.E.G. sont bien évidemment les symboles de son action.










Les univers de Terry et de Dav Guedin sont ceux de la bande dessinée et du cinéma d'action. Le Che est certes un héros mais au même titre que Chewbacka de Star Wars ou Bruce Lee.














C'est avec humour que Jo Brouillon lance son appel à la lutte armée en faisant allusion à Gainsbourg et sa Marseillaise (aux armes et caetera).

Ce que l'on peut remarquer c'est la présence de signes incontournables qui sont attachés au Che : le béret pour son rôle militaire, l'étoile pour la révolution, le cigare pour le fait qu'il soit devenu Cubain. Cuba est omniprésent, des phrases comme Cuba libre , Hasta la victoria sempre reviennent également faisant référence aux discours de Che. Mais ce sont les seules références à ses idéaux et qui sonnent plus comme des slogans publicitaires. D'ailleurs d'une manière générale, les artistes exposés ne sont pas tendres à l'égard de l'image du Comandante.



La référence à l'icône Che est explicite chez Doberman (icona popular) alors que Ian Stuyve nous fait un cours de sémiologie appliquée. Le visage stylisé du Che est une icône au même titre que la représentation du piéton, du téléphone, ou ici du verre brisé indiquant la fragilité. Avec une pointe d'humour l'artiste invente un contenant supposé fragile, qui reste à identifier.



Certaines des oeuvres exposées retracent la lutte entre le révolutionnaire et l'impérialisme américain et son pendant économique, le capitalisme.
En effet comment interpréter les soldats de plomb qui envahissent la surface de la toile, dessinant ainsi les traits de Guevara? Mais la sculpture de Michel Soubeyrand n'est pas la défaite du Che contre les Américains - ou pas seulement. "C'est aussi une représentation de la réalité : le Che a donné une image esthétique, séduisante, attirante de la tuerie. Son visage est fait des soldats qui servent sa révolution, ses desseins meurtriers. Cette oeuvre résume parfaitement l'exposition", précise Yves Suty.
Patrick Thomas est encore plus radical à mon avis. Avec American Investment, il nous signifie que la révolution a été vaincue et que les enseignes des entreprises américaines déferleront sur Cuba comme elles envahissent le visage du Che. La lutte semble inégale tant l'armée yankee semble nombreuse et conquérante. La victoire des marchands américains ne fait pas de doute.

Pour aller plus loin :
Dossier Ernesto Guevara dans la revue Histoire
Une interview du Che en français: http://www.youtube.com/watch?v=y5X0L_SPgoE
Carnets de voyage (Diarios de motocicleta) film brésilien, chilien, américain, péruvien et argentin réalisé en 2003 par Walter Salles
http://www.galeriesuty.com/

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